Contributeur :
Armelle KONÉ
Experte Stratégie & Opération
Construire une culture de la performance sans sacrifier les valeurs collectives
Dans un continent en pleine mutation économique et sociale, les entreprises africaines sont confrontées à un double impératif : accroître leur performance pour rester compétitives, tout en préservant des valeurs collectives profondément enracinées dans leurs cultures. Ce dilemme, loin d’être théorique, se joue chaque jour sur le terrain : faut-il privilégier les résultats au détriment du lien social ? L’efficacité à court terme au prix de la solidarité interne ? Le management par objectifs en oubliant le respect des dynamiques collectives ?
Dans beaucoup d’organisations africaines, la culture du travail repose encore sur des valeurs communautaires : loyauté, respect des anciens, appartenance, entraide. Or, face à la pression des marchés, des investisseurs et des nouvelles exigences managériales, ces repères sont souvent remis en question. La performance est alors vécue comme une contrainte venue d’ailleurs, voire comme une menace pour la cohésion sociale interne.
Pourtant, cette opposition apparente n’est ni inévitable, ni souhaitable. Elle traduit surtout un manque de repères partagés sur ce qu’est une performance “juste”, “durable” et “contextualisée” à l’Afrique. Il est temps de dépasser cette dichotomie pour bâtir un modèle africain de culture de la performance, capable d’articuler exigence, humanité et enracinement culturel.
La pression à la performance : productivité, résultats, indicateurs
Dans un environnement économique africain de plus en plus concurrentiel, la performance est devenue un impératif stratégique pour la survie et la croissance des entreprises. La libéralisation des marchés, l’arrivée d’acteurs internationaux, l’accélération de la digitalisation, ou encore les attentes accrues des clients imposent aux dirigeants de produire plus, mieux, plus vite. Cette dynamique se traduit par une intensification des exigences managériales : indicateurs de résultats, objectifs chiffrés, tableaux de bord, benchmarks.
Dans les grands groupes panafricains, les filiales doivent souvent se conformer à des standards de performance globaux, définis à l’étranger ou au siège, sans prise en compte des spécificités culturelles ou sociales locales. Cela crée un climat de tension : pression temporelle, objectifs perçus comme déconnectés du terrain, évaluation purement quantitative du travail.
Dans le secteur bancaire par exemple ou dans celui des télécoms, des collaborateurs témoignent de la difficulté à atteindre des objectifs commerciaux fixés selon des modèles occidentaux, dans des zones où l’accès aux clients est entravé par les réalités logistiques, linguistiques ou sociales. Résultat : désengagement, stress, sentiment d’iniquité.
La course à la performance peut ainsi produire des effets inverses à ceux escomptés : déséquilibre des relations de travail, affaiblissement du collectif, perte de sens. Dans un contexte africain où la relation prime souvent sur la règle, cette vision technocratique de la performance peut heurter profondément les dynamiques relationnelles internes.


